Tente ou refuge ?

Regard subjectif d’un amoureux du bivouac

Il y a ceux qui décident de partir en itinérance de refuge en refuge et ceux qui choisissent l’option tente. Si la motivation initiale peut être financière, le choix sur le long terme s’avère relié à des raisons bien plus complexes…

Cet article n’a pas pour objectif d’opposer deux pratiques mais bien d’exposer les atouts incroyables du bivouac en montagne que j’ai moi-même pu expérimenter ces dernières années.

En préambule un petit extrait de 3 minutes du film Via Alpina – L’Envers du Chemin où la question est abordée par différents randonneurs :

Voir le film en intégralitéSite officielDVD

Liberté

Partir avec de quoi manger, dormir et se tenir au chaud, c’est se libérer de la contrainte d’un itinéraire programmé, quasi-figé. On a certes des objectifs, mais tout devient plus flexible. On peut choisir son rythme, adapter ses étapes aux conditions climatiques et à la forme du jour et se laisser aller aux rencontres avec la nature et avec nos semblables.  Si je tombe nez à nez avec un groupe de chamois, je peux rester plusieurs heures à les observer sans me soucier d’arriver à un quelconque refuge éloigné. Je peux également m’arrêter plusieurs heures à regarder le scintillement du soleil sur les vaguelettes d’un lac cristallin d’altitude. Enfin, si je rencontre un berger ou un autre randonneur, je peux être vraiment disponible à cette rencontre et l’échange est renforcé.

Je me souviendrais longtemps de ma rencontre avec Erik, un slovène venu ramasser des bourgeons de sapins. Il est 14h, mon « objectif » de la journée est encore loin. Au fur et à mesure de notre échange dans un mélange d’espagnol et d’italien, je me détache de ma destination envisagée… ce moment est trop beau, trop fort pour que j’y mette un terme prématuré. Plus de deux heures plus tard et des confidences échangées qui me touchent profondément, je repars les yeux humides, la joie au fond du cœur et installe mon bivouac à une quinzaine de minutes de là.

Avec ma tente, ma destination quotidienne se dilue.  J’ai de l’espace pour accueillir et savourer l’imprévu.

Dépouillement & priorités

Partir sur plusieurs jours avec de quoi être autonome, c’est un peu vivre avec sa maison sur le dos. A moins d’être un surhomme ou de partir avec des mules, on doit apprendre à retirer le superflu, à doucement se sevrer de l’utile et à se restreindre à l’essentiel.

Ce processus n’est pas forcément immédiat… les douleurs aux épaules et les courbatures de nos corps incitent à un ajustement rapide de nos comportements. Je garde un souvenir amusé de ma première grande traversée le long des Pyrénées. Fier et fringuant avec mon sac de 70 litres rempli de gadgets, livres et autres objets d’une utilité discutable (3 massues de jonglage notamment). 10 jours plus tard, je renvoyais un beau colis chez moi, mon cheminement vers l’essentiel avait commencé, il est loin d’être fini.

Pierre Rahbi parle de « sobriété heureuse », je crois que n’importe quel marcheur au long cours y goûte à un moment donné.

L’eau, c’est la vie

On croit savoir que l’eau est un bien précieux, mais comment en être vraiment conscient lorsqu’il suffit de tourner un robinet pour que liquide apparaisse par magie.  Pour le randonneur itinérant en montagne, l’eau est une ressource primordiale, facteur de joie mais aussi un facteur conditionnant sa liberté.

Peut-être que la randonnée itinérante n’est en fait, qu’un voyage entre deux eaux.

Quiconque a vraiment ressenti la soif lors d’un long trek comprendra. Sans eau, notre corps en mouvement se détériore à grande vitesse : tendinites, maux de têtes, on perd également sa lucidité qui est primordiale pour prendre de bonnes décisions. Bien se ravitailler en eau n’est pas juste une option, c’est la clé pour la randonnée itinérante … et dans la vie ! Les Alpes sont des espaces où l’eau est globalement assez abondante mais il faut tout de même anticiper, notamment dans certains massifs karstiques (le calcaire poreux laisse l’eau s’infiltrer sous la roche, et les rivières existent bel et bien … mais sous terre !).
Bien souvent, mes lieux de bivouacs et mon itinéraire sont intimement liés à la présence d’eau… en retournant à ce travail de recherche de l’eau, on comprend mieux la position géographique des alpages, des abris pour les bergers et des refuges… Les hameaux et les villes sont aussi stratégiquement placés.

Être dehors… tout le temps !

Dormir dans l’environnement « traversé », c’est prolonger l’expérience de la journée et assurer une continuité.

Quand les murs des refuges et des cabanes disparaissent, les toiles de tente constituent des barrières plus poreuses… à l’intérieur desquelles l’infusion alpine continue.

Vivre dehors, uniquement dehors sur plusieurs jours, permet de ressentir à nouveau le rythme de la nature. On observe d’abord les variations d’humidité et de température puis les différentes ambiances sonores (le chant des oiseaux du petit matin, l’agitation des insectes au zénith, la brise descendante du soir… ). On a la chance d’être aux premières loges pour observer discrètement la faune sauvage et les petits rituels qui vont avec…

A plusieurs reprises, je me suis retrouvé à l’unisson avec des marmottes qui guettaient avec moi le lever du soleil pendant qu’au loin de jeunes chamois mâchaient de l’herbe tendre. Après maintes réflexions et observations, j’ai l’intime conviction que les animaux sauvages cherchent comme nous de beaux points de vues. Comment expliquer que nous allions au même endroit pour le lever du soleil ? Pour le coucher ?

Se fier à la météo annoncée en montagne, c’est oublier les spécificités de chaque massif, de chaque crête, de chaque vallée… En étant dehors, j’apprends à décrypter le langage secret des nuages. Je constate les cycles, les vents locaux, les périodes d’intempéries… et je perçois toute la complexité de ce dialecte brumeux en mutation continue. Rien n’est complètement acquis, mais j’arrive à discerner de grandes tendances…

Les montagnes seraient bien tristes si elles n’étaient pas animées par le jeu incessant du soleil et des nuages.

Vulnérabilité et Humilité

Les montagnes ont ce pouvoir de nous faire sentir minuscules. Lorsqu’on dort en refuge ou en cabane, à l’abri des éléments, on se coupe un peu de l’extérieur. On devient à nouveau spectateur d’une nature que l’on pense maitrisée. Partir avec une tente donne une toute autre perspective. Il faut appréhender le lieu, trouver l’endroit qui pourra nous accueillir pour les prochaines 12 heures.

Il y a un doux mélange d’excitation, de découverte et d’appréhension lors de la recherche du lieu de bivouac. 

On s’invite dans le milieu dans son état sauvage, on y pose délicatement nos pieds. Ensuite il faudra jongler avec les conditions climatiques, les sons, les visiteurs nocturnes et toutes les étoiles que l’on aura du mal à compter… Peut-être qu’on gardera en mémoire cette nuit d’orage mémorable où l’écho tonitruant du tonnerre dans les montagnes remontait dans nos entrailles… peut-être aussi qu’on se souviendra de la force du vent qui semblait vouloir en découdre avec notre abri… Une chose est sûre : notre rapport de force à la nature est inversée.

Impossible d’ être trop gourmand sur les cimes. La montagne n’a pas de menu ni d’horaires. Il faut savoir déguster les instants offerts sans rien attendre des suivants. 

CONFIANCE & RESPONSABILITE

Dormir sous tente dans un endroit isolé en montagne, c’est se confronter à ses propres peurs. Peur des bêtes sauvages, peur du noir, peur des autres, peur… de regarder en face ses propres peurs. L’itinérance est une formidable école d’apprentissage de prise de décision, il n’y a plus de place pour l’hésitation, il faut agir (car personne n’est là pour vous aider !). Pour la partie matérielle et pratique, ne pas s’affoler ! Peu bricoleur de base, je me suis révélé plein de ressources pour réparer, coudre, imaginer des solutions que personne d’autres ne pouvait m’offrir.

On a tous un brin de Mc Gyver au fond de nous, il faut juste l’éveiller !

Petit à petit, au fil des randonnées qui s’accumulent, on apprend à mieux se connaître et on se rend compte des défis et des peurs surmontés. Une force discrète mais intense se développe dans notre esprit. Le champ des possibles s’agrandit : une nouvelle vie peut commencer.

CONCLUSION

Dormir dehors, en tente ou à la belle étoile est étroitement relié à ma relation à la montagne… Cela amplifie mon expérience de l’itinérance et de coupure avec la société et le système auquel je suis confronté au quotidien. J’aime aussi voir mes sens s’aiguiser, mon instinct se révéler de plus en plus juste.  Assister au spectacle unique que nous offre chaque jour le soleil, la lune, les nuages, les forêts et tous les éléments naturels…

C’est un moment privilégié de présence au monde et de « fusion » avec l’environnement qui m’entoure.

« Le monde disparaît comme vous fondez en lui » Heidegger

Vous l’aurez compris, cet article est avant tout une invitation à tester l’expérience du bivouac (non pas à dénigrer les refuges qui ont toute leur place !)

Alors lancez-vous !
Et si vous préférez partir en refuge, c’est très bien, partez aussi…

NB : de mon côté, je tenterai l’expérience d’une virée de refuge en refuge (sans tente dans le sac pour ressentir l’ensemble des bienfaits).

Bonnes aventures à tous !

Matthieu Chambaud – Accompagnateur en Montagne Slow Rando – Réalisateur du Film Via Alpina – L’Envers du Chemin.

 

Applications concrètes avec  SLOW RANDO

Logo Slow-Rando

Avec Slow Rando, mon entreprise de randonnée, j’ai décidé de me focaliser sur cette partie bivouac de la montagne.
D’une part, former les gens à être autonomes en montagne pour ce type d’expérience itinérante avec des stages de 4 jours (orientation, nourriture, eau, gestion du campement, matériel, gestion chaleur.. ) et d’autre part des séjours en tente pour appréhender la montagne d’une manière douce, sans objectif … en mettant l’ensemble du groupe dans les conditions optimales pour accueillir pleinement les cadeaux que la montagne peut nous offrir.

Le tout dans l’idée que la randonnée en montagne est un formidable moyen pour trouver des clés à appliquer dans nos vies…

 

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